Depuis huit ans, je me suis gardé d'engager des polémiques contre le pouvoir. Ce n'était pas pour moi une bonne manière de participer au débat politique. Mais j'ai dû répliquer plusieurs fois à des attaques.
La droite, en effet, n'a pas fait preuve de la même réserve. Les dirigeants de l'Etat comme les chevau-légers de la majorité ont tenté avec constance de disqualifier l'action conduite par mon gouvernement de 1997 à 2002. En vérité, leur ferions-nous de l'ombre ? Et craindraient-ils que les Français ressentent trop fortement le contraste entre l'action menée par nous pendant cinq ans avec sérieux et rectitude et l'inefficacité, l'iniquité, la fébrilité, voire la vulgarité actuelles ? Est-ce une raison suffisante pour dénaturer le passé ?
Le dernier exemple en est donné par un texte, signé dans Le Monde [daté du vendredi 20août] par quelques élus de la majorité en soutien aux égarements de M. Estrosi en matière d'insécurité. J'y relève, parmi d'autres, deux contrevérités.
La première tient en cette phrase: "L'insécurité n'est pas un fantasme des Français, comme le pensait le gouvernement de Lionel Jospin." Bien loin de cela, mon gouvernement a, dès ma déclaration de politique générale, puis au colloque de Villepinte organisé par le ministre de l'intérieur, avec ma participation et celle de plusieurs ministres, placé la lutte contre l'insécurité au premier rang de ses priorités.
Certes, nous n'avons pas pu endiguer la montée déjà ancienne des actes de délinquance. Mais nous avons conduit une politique de sécurité cohérente. Nous avons affirmé le principe que l'ordre public est d'abord une responsabilité de l'Etat. Et loin d'accuser sottement et injustement les maires, comme le fait M. Estrosi, nous les avons associés à notre action en signant avec eux des contrats locaux de sécurité. Nous avons cherché à donner à chaque acte délictueux sa sanction judiciaire, fondée sur la responsabilité personnelle, en écartant bien sûr l'idée perverse de la responsabilité collective, celle qui aujourd'hui stigmatise des quartiers, des communautés ou des catégories de Français particuliers.
Nous n'avons pas négligé la prévention, en développant les politiques de la ville. Nous avons lutté contre le chômage, réduit les injustices et gouverné l'Etat en respectant les règles de la République. Car nous savions bien que la garantie de la sécurité dépend aussi des conditions de vie de la population, des valeurs qui lui sont transmises et des exemples qui lui sont donnés.
Quant aux agents de l'Etat chargés de la sécurité, nous ne les avons pas formés pour mener une "guerre", nous nous sommes gardés de les exposer comme cibles, mais nous les avons soutenus, dans le respect du droit. Notre but étant la sécurité quotidienne des Français, nous avons mis en place la police de proximité réclamée aujourd'hui par tous.
LA POLITIQUE ACTUELLE DE LUTTE CONTRE L'INSÉCURITÉ EST UN ÉCHEC
La deuxième contrevérité éclate dans une autre phrase : "Le gouvernement renforce les moyens consacrés à la lutte contre la délinquance." C'est le contraire qui est vrai. Certes, le président et ses ministres ne sont pas avares de proclamations. La majorité a voté une cascade de textes législatifs dont la succession même souligne l'inefficacité. En pleine surenchère aujourd'hui, l'exécutif annonce même des projets qu'il reconnaît comme non constitutionnels et dont il sait qu'ils seront censurés !
Mais le gouvernement n'augmente pas les moyens de lutte contre la délinquance : il les réduit. Il a supprimé en trois ans neuf mille postes de policiers et de gendarmes (alors que, sous mon gouvernement, outre les vingt mille adjoints de sécurité, les effectifs des seuls policiers avaient augmenté de plus de cinq mille).
Le constat actuel est accablant, et il accable d'ailleurs les personnels de sécurité, inquiets déjà de la façon dont on les emploie. Une telle réduction des effectifs, dictée sans doute par une idéologie hostile au service public, est incompréhensible, car la sécurité ne peut progresser quand le nombre des policiers et des gendarmes régresse.
Le pouvoir n'a pas tiré les leçons des émeutes urbaines de 2005. Il a continué à négliger les quartiers difficiles. Il s'est enfermé dans une stratégie de tension. Il cherche moins à assurer la tranquillité publique par une présence régulière des forces de sécurité sur les terrains sensibles qu'il ne privilégie les opérations coups de poing menées de l'extérieur, avec peu de résultats judiciaires.
La politique actuelle de lutte contre l'insécurité est donc un échec. La montée des agressions contre les personnes en est le signe le plus grave, mais il n'est pas le seul. Nos forces de police sont de plus en plus exposées, et elles sont inquiètes du fossé qui se creuse entre elles et certaines couches de la population. Or, faute de résultats, nos autorités se livrent à une nouvelle escalade verbale dont les accents deviennent douteux.
Faudrait-il croire alors que pour le pouvoir et son chef, si contesté, l'objectif est moins de réduire l'insécurité que de l'exploiter ? Le président s'effacerait-il derrière le candidat ? L'espoir d'une réussite électorale reposerait-il en dernier recours sur cette exploitation ? Si ce jeu devait se poursuivre, il serait peut-être hasardeux pour le candidat, mais à coup sûr dangereux pour le pays.
Lionel Jospin
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