Par Marc Guerrien
La révolte quasi spontanée de larges parties de la population tunisienne au cours de ces derniers jours a abouti au résultat, absolument inimaginable il y a encore quelques mois, du départ du pouvoir de son chef incontesté depuis 22 ans, Zine El-Abidine Ben Ali. Chacun aura vu les spectaculaires images de sa fuite en avion, personne ne voulant donner refuge à ce Président qui avait bâti toute sa réputation sur sa capacité à contrôler de façon autoritaire et brutale la situation intérieure, et qui s’est retrouvé nu lorsqu’il s’est fait déborder par la rue, et lâcher par l’armée.
Personne ne semble savoir précisément ce qui va sortir maintenant de cette révolte. Compte tenu du caractère spontané et peu structuré de ce mouvement né d’un ras-le-bol général quant à la situation sociale, économique et politique de la Tunisie, il faut rester très prudent et ne pas sous-estimer le risque que tout cela ne dégénère en violences généralisées qui aboutiraient à l’installation d’un pouvoir contrôlé par l’armée.
Cependant, l’espoir suscité par ce mouvement est énorme, et il va sans doute au-delà même de la Tunisie tant c’est la première fois que l’on assiste à une situation de ce type dans un pays arabe, à savoir l’obtention du départ du dictateur sous la pression de forces internes, par la révolte même de la population, et non sous la pression de l’étranger, ou à la suite d’un coup d’Etat de palais.
C’est peut-être le signe que quelque chose peut changer dans les années à venir dans cette partie du monde. Le fait que, apparemment, les mouvements religieux islamistes fanatiques ne soient pas (ou pas seulement) derrière cette révolte d’une jeunesse qui semble aujourd’hui plus aspirer au progrès qu’au retour vers le Moyen Age, est également un grand facteur d’espoir. Que les Tunisiens aient fait le choix d’agir pragmatiquement au niveau où ils peuvent le faire, en s’en prenant à leurs propres responsables politiques, plutôt que s’en remettre à Dieu ou de rejeter toute la responsabilité des frustrations sur l’étranger (auparavant le colonialisme français, puis l’impérialisme américain, avec en toile de fond permanente le sionisme israélien), traduit un changement d’approche encourageant.
Après une transition démographique très brutale et rapide, qui a vu la population tripler en un demi-siècle, pendant que les modes de vie évoluaient radicalement par la forte diminution des taux de fécondité (et donc par la force des choses le changement des structures familiales et des pratiques socioculturelles), la Tunisie et ses voisins du Maghreb ont aujourd’hui une occasion exceptionnelle de sortir de l’autoritarisme et de la léthargie pour bâtir un modèle nouveau de société, plus démocratique, plus progressiste, plus juste et plus productif.
La stabilisation démographique, qui annonce le vieillissement progressif d’une population encore très jeune, la hausse constante des taux d’alphabétisation, notamment des femmes, et l'élévation progressive des niveaux d’éducation en Tunisie comme dans l’ensemble des pays du Maghreb suscitent une grande espérance quant à la capacité des peuples arabes à s’organiser eux-mêmes, à créer les conditions politiques de leur développement, à concevoir de façon plus constructive la chose publique, sans avoir besoin d’ingérences étrangères ou du paternalisme de « tuteurs » envahissants.
Le gouvernement Sarkozy, par sa passivité et son soutien de facto au régime tunisien pendant cette crise, a manqué une occasion de redorer le blason de notre pays dans cette partie du monde, avec laquelle nous avons pourtant tant de liens historiques. Discrètement, humblement mais efficacement, la France et l’Europe doivent à présent être aux côtés des Tunisiens et de leurs voisins pour accompagner, sans ingérence, le changement espéré. Quoiqu’il en soit, il est probable, au vu de la tournure des événements, que le départ de Ben Ali et un changement de leader ne satisfera pas le peuple Tunisien. C’est sans doute d’une véritable révolution que ce pays a besoin, avec la mise en place de nouvelles institutions et pratiques politiques qui permettent l’émergence d’un Etat à la hauteur de l’immense espoir suscité par la mobilisation de ces dernières semaines.
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