Didier Daeninckx est né en 1949 à Aubervilliers. Romancier et scénariste, il est l'auteur de «Meurtres pour mémoire» (Grand Prix de littérature policière 1984), de «Métropolice» ou de «Mort au premier tour»
Aubervilliers mon amour
PAR FARID AÏCHOUNE
L'écrivain habite depuis toujours la Seine-Saint-Denis, qui lui a offert une vue imprenable sur les mutations de la France, pas toujours réjouissantes
A la grande brocante du souvenir d'Aubervilliers, l'ancien ouvrier imprimeur Didier Daeninckx, né quelques rues plus loin, tient un stand où il expose des fragments de mémoire en instance d'oubli. C'est son vide-grenier; et le refoulement de la mémoire, son obsession. La négation par l'histoire officielle d'une partie de la période collabo pendant l'Occupation et de la sale guerre d'Algérie est son thème récurrent.
Ce n'est pas un hasard si son premier polar, «Meurtres pour mémoire», relate le massacre par la police de 400 Algériens, en plein Paris, le 17 octobre 1961, lors de la grande manifestation pacifique organisée par le FLN, pour protester contre le couvre-feu imposé aux Français musulmans par le préfet de police, un certain Maurice Papon. Pour mémoire, celui-ci sera condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l'humanité et la déportation de 1500 juifs, alors qu'il était secrétaire général de la préfecture de Gironde.
Didier Daeninckx est persuadé que l'amnésie conduit au désastre et au retour au pire. Alors il se fait chasseur et traque le moindre dérapage. Dieudonné et Alain Finkielkraut sont renvoyés dos à dos, le premier qualifié d'«officine antisémite» et le second brocardé pour ses propos sur les banlieues et les Noirs de l'équipe de France de foot. «Dieudonné, écrit-il, doit se frotter les mains. (...) Alain Finkielkraut lui fournit obligeamment le petit bois dont il a besoin pour entretenir le feu de sa haine parallèle.» Daeninckx soupçonne même certains antifascistes d'avoir été négationnistes. L'écrivain Gilles Perrault est à nouveau sur sa liste... Parano, Didier Daeninckx, comme l'affirme une partie de la mouvance antiraciste?
Pour comprendre, il faut remonter à ses origines prolétaires à Aubervilliers, dans le 9-3 comme on dit aujourd'hui, où il vit encore, devenu le point électif de la culture ouvrière et immortalisé par le film de Marcel Carné «Le jour se lève» (1939). Jean Gabin, l'ouvrier, y incarnait le tragique quotidien.
Porteur de valeurs, il y croyait, et même en mourait. Trente ans plus tard, Gérard Depardieu incarne le loulou de banlieue dans «les Valseuses» de Bertrand Blier, mais l'enfant d'ouvrier passé au blouson de cuir n'a plus rien des convictions de ses aînés. Au tour de Mehdi Charef, au début des années 1980, avec «le Thé au harem d'Archi Ahmed», de dessiner la banlieue : celle de la déglingue sociale cette fois, héritière de la vieille zone. La culture de l'émeute, enfin, engendrée par la décomposition sociale, sera saisie avec justesse par Mathieu Kassovitz dans «la Haine». Né dans l'après-guerre, Didier Daeninckx, forcément, est le porteur de cette mémoire longue.
F.A.
«La Mémoire longue», par Didier Daeninckx, Le Cherche Midi, 472 p., 20 euros
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